• L’idée était bonne : revenir sur la catastrophe de 1975. Non pas celle du collège unique, mais celle de l’unification des collèges sur la base du plus élitiste des deux. Revenons en arrière. Depuis 1965 (réforme Fouchet) il existe en effet deux sortes de collèges. Dans les CEG, héritiers du Primaire supérieur créé par Guizot en 1833, enseignent principalement des PEGC, anciens instituteurs formés en école normale, soucieux de la promotion d’élèves issus pour la plupart des classes moyennes et populaires. Dans les CES, anciens premiers cycles du lycée créé par Bonaparte, de tradition élitiste et malthusienne, des professeurs formés à l’Université enseignent à une minorité d’enfants privilégiés. L’unification, en faisant le choix des objectifs, des programmes, des professeurs et de l’organisation éducative des CES, reconstitue de fait l’ancien lycée, lui-même polarisé par ses classes préparatoires, l’élite de l’élite ! Ce collège unique-là se fait donc aux dépends de la solution qui aurait consisté à privilégier les objectifs du Primaire supérieur et à rapprocher le nouveau collège unifié de l’école primaire. Ce projet a un nom : c’est l’école fondamentale, le souci de la réussite de tous et non la sélection d’une élite, forcément sociale ; le passage progressif du maître polyvalent au professeur monovalent, et de savoirs instrumentaux à des savoirs culturels, et non l’absurde opposition d’aujourd’hui qui déstabilise les plus fragiles.

    L’objectif stratégique du socle commun est celui-là : rapprocher l’école du collège, intégrer leurs objectifs et leurs contenus, rendre cohérente l’école obligatoire, sortir de la logique du tri par l’échec devant des programmes trop ambitieux et une hétérogénéité par conséquent ingérable. C’est un excellent objectif.

    Mais on ne s’est pas donné les moyens de l’atteindre, car on a surchargé considérablement la barque. D’abord, le socle actuel, censé définir des objectifs minimaux en fin de Troisième, pêche sans doute par excès d’ambition. Ensuite et surtout, il introduit subrepticement en France l’ApC, l’approche par compétences, une pédagogie d’inspiration belgo-canadienne contestable, et tout son attirail évaluatif taylorien qui déroute et parfois révolte une majorité de professeurs, sommés avec le LPC notamment, de découper le savoir en rondelles. C’est sur ces deux aspects qu’un nouveau ministre devra revenir s’il veut vraiment faire du socle commun un levier pour construire l’école de la réussite de tous.

     

    Jean-Pierre Obin, Université de Cergy-Pontoise

    Mars 2012

    https://soclecommun2012.wordpress.com/2012/03/15/jean-pierre-obin-le-socle-commun-oui-mais-pour-quoi-faire/


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  • Billet plus récent de Mara, qui ne sait plus quoi penser de la réforme à cause que le débat il a été vampirisé par des hurluberlus de toutes sortes.
    http://maragoyet.blog.lemonde.fr/2015/05/30/college-tout-le-monde-en-parle-mais-tout-le-monde-sen-fout

    Sa conclusion : "Alors, au milieu de tout ça, des flots de paroles, de considérations qui nous éloignent chaque jour de la réalité des classes, des élèves, du collège, que faire, que penser ? Eh bien ça donne envie de regarder passer les trains, d'attendre sagement la réforme, d'en faire ce que l'on pourra sur place, sur le moment, avec ses collègues choisis. De rester calme tout en déplorant que le collège tel qu'il est reste invisible dans sa réalité au plus grand nombre, qu'il soit un prétexte à joutes, rancœurs, ressentiments, idéologies."

    J'en envie de lui dire à Mara, mais en fait je pense qu'elle s'en tamponne, que cette réforme n'est pas si difficile à comprendre, pas du tout.

    Une réforme qui propose moins d'heures de cours disciplinaires pour les fondre en fausse AP 'par manque de possibilités de dédoublements) et en EPI (dont le fondement idéologique est déjà problématique), alors que nos élèves MANQUENT d'heures de cours disciplinaires notamment en 1/2 groupes et, osons le dire, en 1/4 de groupe, on peut légitimement en penser du mal...

    Une réforme qui bousille tout ce qui marche pour des élèves qui, quel que soit leur niveau social, peuvent se coller des heures de cours en plus parce qu'ils peuvent se le permettre : option bilangue (dont les élèves sont ventilés dans plusieurs divisions pour éviter le côté club VIP), les sections euro (au moment où on tente vainement de sauver l'idée d'une Europe qui soude les peuples sous des valeurs communes), les options langues anciennes et régionales (que seuls des personnes de mauvaise foi peuvent affirmer trouver un renforcement d'icelles alors même qu'elles sont saccagées), l'option DP3 (tuée par le Se-Unsa pour en faire un gloubi-boulga transversal alors que beaucoup d'enseignants et d'élèves s'y éclatent parce qu'ils l'ont choisie mais que tout le monde ne veut pas en faire...).

    Une réforme qui force tous les élèves à attaquer une LV2 en 5ème alors que c'est aussi le moment où on commence la Physique-Chimie et que tous n'ont pas les moyens de commencer si tôt une 2ème langue.

    Une réforme qui fait d'enseignants passionnés de leur matière (bien souvent), des prestataires de service dont les obligations découleront d'un Conseil Péda ou d'un CA où ils n'auront pas vraiment la possibilité de s'exprimer...

    Une réforme qui instaure des cycles (parfois à cheval entre deux fonctionnements très différents) dans le seul but de ne plus ralentir les élèves qui ont des difficultés mais de les propulser plus haut, plus vite, plus loin, pour qu'ils s'éclatent plus fort par terre.

    Une réforme qui va entraîner de nouveaux programmes (absolument détestables en l'état en français) et un nouveau brevet qui promet d'être une belle supercherie (même si cet indicateur est bien sûr perfectible, il montre sans problème les zones laissées à l'abandon par la République et pointe les endroits où il faut mettre le paquet).

    Non, décidément, je n'ai pas eu besoin d'écouter les discours des uns et des autres à la télé pour savoir que penser de ce bousin, j'ai pris les textes, j'ai allumé mon cerveau et j'en ai tiré les conclusions qui s'imposent.

    Je ne force quiconque à penser de même, mais je sais que celui qui défend mordicus cette voie éducative est de fait à l'opposé de ma façon de voir les choses, c'est tout. Il me paraît d'ailleurs impossible de ne pas choisir 'son camp' tant les conséquences de cette réforme seront importantes... 

     

    source : http://www.neoprofs.org/t88947p140-mara-goyet-serons-nous-a-la-hauteur-de-la-reforme-du-college#3087852


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  • Pourquoi faire du « socle commun » la référence claire et centrale
    du système éducatif ?

    par Roger-François Gauthier

    Il faut savoir ce qu’on veut : si le propos est d’abandonner l’idée d’une scolarité obligatoire commune à tous les enfants, de retourner à une séparation des filières dès la sixième, avec des types modernes d’examens d’entrée, alors pourquoi ne pas abandonner jusqu’à l’idée d’une école primaire commune (et communale), pour être bien certains à la fois qu’on fera des économies, que chacun aura un menu scolaire à la mesure de « prédictions » dont personne n’est avare et que l’école cessera de prétendre changer quoi que ce soit à la répartition des places dans la société ? Ce que la division sociale de l’espace n’a pas encore réalisé, que l’école le hâte ! La compétition scolaire sera alors consacrée comme un petit jeu sans complexes entre les classes qui auront « tiré l’échelle » derrière elles de toute ascension sociale par l’école. Faut-il d’ailleurs s’épuiser à réaliser ce qui s’élabore sans difficulté tout seul, en laissant faire les jeux à l’œuvre ?
    Maintenant si on ne se reconnaît pas totalement dans cette logique pourtant toute simple, alors il faut considérer que l’école obligatoire n’a pas de sens si elle n’en a pas un d’abord en termes d’objectifs d’apprentissage communs à tout le cursus : le sens du « commun », le sens de ce qu’une société définit comme apprentissages « obligatoire » c’est le vrai sens de l’école « obligatoire », et tout (la formation des maîtres, leur identité même, l’organisation spatiale, les pédagogies à l’œuvre, mais aussi les poursuites d’étude, les modes d’évaluation des élèves, leur droit à des apprentissages responsables, etc.), tout doit s’organiser autour de cela. Et ce qui supporte tout un ensemble, en effet, cela s’appelle souvent un « socle » !

    Roger-François gauthier, expert auprès de l’UNESCO


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  • Il faut défendre le socle commun parce que cette politique peut permettre d’améliorer les compétences des élèves les plus faibles, une exigence morale dont on peut attendre par ailleurs de bons effets sur la croissance économique et la cohésion sociale. Dans les circonstances actuelles, il faut aussi le défendre pour des raisons politiques. Alors que la droite répond à la demande de protection des catégories populaires par diverses formes de frontières qui ne les protègeront pas mieux que la ligne Maginot, la gauche peut y répondre par une « école qui protège ». L’école ne peut promettre à chacun un travail épanouissant et une vie sociale réussie, mais elle peut promettre de faire tout ce qu’elle peut  pour donner, à tous, au moins  les connaissances et les compétences nécessaires pour qu’il  lui soit possible d’y prétendre. Une école, des enseignants mobilisés autour de cette ambition  jouiraient certainement d’un grand crédit auprès de la population.”

    https://soclecommun2012.wordpress.com/2012/03/15/denis-meuret-le-socle-commun-est-une-exigence-morale/

    Denis Meuret, chercheur à l’IREDU


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  • L’effort pour enfin concilier connaissances et compétences dans un même mouvement  (éduquer et enseigner) est présent dans la conception du socle commun.
    Il en est de même dans le rapport  L’éducation, un trésor est caché dedans* où savoir-faire et savoir être sont considérés comme deux des quatre piliers du savoir   à transmettre par l’éducation,  et revêtent  une importance égale à celle des connaissances et du savoir théorique. Mettre en rapport le socle commun avec le texte de la commission de l’UNESCO, présidée par Jacques Delors, qui a proposé quelques grandes orientations pour l’éducation au XX1ème siècle permet de montrer que connaissances et compétences, loin de s’opposer, forment  et fondent, ensemble, le savoir, les savoirs indispensables à tous les êtres humains. Ce rapprochement, par voie de conséquence  nous aide à en finir avec les oppositions stériles entre instruction et éducation, entre savoir et pédagogie. Cette dernière est alors considérée comme  un savoir-faire réflexif éclairé par des connaissances issues des sciences sociales.
    Ce socle est commun, il appartient à tous les élèves de notre système éducatif de le construire pour eux-mêmes et pour tous, ce qui devrait induire des conduites de coopération remplaçant les concurrences acharnées qui sévissent dans les classes. C’est aussi en insistant sur cette qualité de commun que le socle de connaissances et de compétences peut être considéré comme une arme contre l’échec scolaire et le creusement des inégalités scolaires. Mais c’est à la condition que les évaluations soient réalisées avec esprit de finesse et de précaution et qu’elles ne soient pas accumulées sans raison.
    Ce socle constitue aussi un ensemble de repères et d’objectifs appelant un travail en commun des enseignants : la recherche-action devrait ici jouer ou rejouer son rôle pour que ce soient des équipes d’enseignants qui affinent, nuancent, précisent ce socle commun, ses objectifs, sa mise en cohérence avec les programmes.
    Bref, le socle commun est un outil indispensable à une réelle démocratisation de notre Ecole.
     
    Francine Best,
    ancienne directrice de l’Institut National de Recherche Pédagogique,
    présidente d’honneur des CEMEA

    *L’éducation, un trésor est caché dedans, rapport à l’UNESCO de la commission internationale sur l’éducation au vingt et unième siècle


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