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    LE MONDE | 18.05.2015 à 17h05 • Mis à jour le 19.05.2015 à 09h04

    Encore une fois se dresse contre un projet de réforme de notre enseignement la cohorte des défenseurs du latin, grec et des traditions. Voici un demi-siècle que ce scénario se reproduit victorieusement. Les grands intellectuels, l’Académie française, les syndicats se mobilisent et trouvent des arguments pour soutenir que le remède serait pire que le mal.

    Il faut pourtant regarder les choses en face. Notre enseignement va-t-il bien ? Assurément non. Il va bien pour les bons, au prix d’une concurrence féroce. Il va mal pour la majorité des élèves. Tout le monde le sait, et personne ne soutient le contraire. On sait depuis la présidence de Georges Pompidou qu’il est impossible d’étendre à la totalité les formes scolaires adoptées il y a plus d’un siècle pour la formation d’une élite. Cela ne peut aboutir, et on le voit, hélas, qu’à une dégradation.

    De quelle réforme parlez-vous ?

    Alors que fait-on ? Rien, répond notre intelligentsia. Surtout, ne touchez à rien. Revenez à la tradition qui a fait ses preuves. C’est comme si l’on avait cherché le salut à Verdun dans les charges de cavalerie de Reichshoffen ! Le monde a changé, il serait temps d’en tirer les conséquences.

    Vous allez répondre que tout le mal vient des réformes. Mais de quelle réforme parlez-vous ? Car on les cherche, les réformes, comme le maréchal de Saxe cherchait son armée. Toutes celles qui ont été proposées ont été rejetées, sous votre pression. Et Louis Legrand en 1983, et François Dubet en 2000, et même François Fillon en 2005, car le tronc commun reste à faire.

    La seule réforme qui ait eu lieu est celle du collège unique, et l’on sait bien qu’elle est irréversible, aucun de ceux qui le souhaiteraient n’envisageant un instant d’enseigner dans les filières de relégation que créerait sa suppression. La réforme du second degré est un mythe : elle n’a pas eu lieu. L’épouvantail que vous agitez n’est qu’une chimère.

    Pour quoi êtes-vous donc ?

    Et puis, je vais vous le dire car, à la fin, trop c’est trop. Vous êtes contre tous les projets de réforme. Mais pour quoi êtes-vous donc ? Osez présenter un projet de réforme. Faites, sur ce sujet comme sur les autres, notre métier d’intellectuels : lisez les enquêtes, les rapports d’inspection, les statistiques. Au lieu de contester avec bonne conscience, osez bâtir une proposition étayée par une documentation solide, sans fuir dans les utopies impossibles à financer.

    Une réforme est nécessaire ; celle-ci vous semble mauvaise. Soit. Alors proposez-en une bonne. Mais faites le travail nécessaire pour qu’elle puisse l’être, et ne venez pas nous dire qu’elle consiste à revenir en 1950 : vous savez que c’est impossible ; l’Histoire ne repasse jamais les plats. La passion que mettent les « intellectuels contre » à refuser tout changement, sans jamais en proposer, les déconsidère : pour faire vivre la tradition, il faut lui ouvrir les voix de l’avenir.

    Antoine Prost est notamment l’auteur de Du changement dans l’école. Les réformes de l’enseignement de 1936 à nos jours. Seuil, 2013.


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