• source : http://www.geocities.ws/demission_99/tpe_ivoltaire.htm

    auteur : Isabelle Voltaire.

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    Sur les TPE

     

    De très bons arguments ont déjà été développés par plusieurs collègues, dans les textes du site anti-Allègre, sur le Forum Défense Ecole, ou sur le forum du Snes, en rapport avec l’attaque des statuts et de la cohérence disciplinaire. Il va de soi que je les approuve.

    Que l’on me permette d’aborder la question différemment. Je me base, outre quelques lectures, sur des discussions que j’ai eues avec des collègues a priori favorables, pour comprendre pourquoi ils y sont favorables, et ce qu’ils en attendent.

     

    Le sentiment des difficultés des élèves

    La première fois que j’ai entendu parler des TPE, il y a deux ou trois ans, lors d’une réunion du groupe math du Snes, par leur concepteur, celui-ci a décrit avec réalisme les difficultés des élèves à maîtriser les savoirs, à faire des liens aussi bien à l’intérieur d’une discipline qu’avec d’autres, à transférer les connaissances. Le manque de discernement et l’incapacité grandissante à accorder du sens à ce qui est étudié est un souci de nombreux collègues, et se retrouve dans la littérature didactique. Si l’on y joint l’expansion de la recherche scientifique et l’impossibilité désormais de tout apprendre (ce n’est pas seulement une question d’argent !), on comprend le désir de tenter d’en améliorer le rendement et de faire des "économies de temps d’étude" : ce fut depuis vingt ans le but de la recherche en didactique des mathématiques. [Quelques lecteurs vont sursauter, je les prie d’avance de me pardonner l’usage de notions économiques pour évaluer les processus d’apprentissage ; elles me paraissent inévitables pour comprendre le raisonnement des "décideurs" et des collègues].

    Ayant fait ces constats, il est venu l’idée de donner aux élèves une "épistémologie explicite", des relations détaillées et explicites entre notions. Il faut ajouter que les professeurs n’ont pas attendu ces conseils, ni l’année 1998, pour établir ces liens, en attestent notamment des travaux des IREM et de l’APMEP, d’une part, et, bien avant, des instructions assez précises dans les programmes.

     

    Enlever des parties du programme et le temps pour le faire

    Quand, donc, le père concepteur des TPE nous raconta ce projet, les auditeurs, professeurs "de base", ayant l’expérience de tels cours préparés et enseignés en commun, se sont récriés unanimement contre l’encadrement rigide de ces pratiques : c’est justement parce que nous en avions l’expérience, nous savions que seule la liberté leur permettait de fonctionner. Notre avis ne fut pas écouté par ledit concepteur. Par contre, le ministère, lui, a vu le profit – pardon pour ce mot ! – qu’il pouvait en tirer pour détruire. Car il s’agit bien de cela.

    Exemple, encore : on a supprimé du programme de seconde le début de la mécanique, les notions de force, de vitesse, au motif que c’est difficile, argument démagogique habituel, on enlève ainsi le support sensible des opérations de vecteurs, ôtant aux élèves une chance de comprendre, et de voir "à quoi ça sert".

    Les TPE que l’on nous assène ne sont pas destinés à rétablir ces cohérences productrices de sens, au contraire, puisque leur introduction nous enlève les parties de programme et le temps pour le faire, regardez-en le contenu. Et que l’on ne dise pas qu’il s’agit d’une série de malheurs fortuits.

     

    Faire jouer le sentiment de culpabilité des professeurs

    Vis-à-vis de l’informatique et d’internet, préconisés par la circulaire ministérielle, la réticence, la crainte des professeurs d’être dépassés, le sentiment de culpabilité et le désir de le surmonter, face au déferlement des accusations d’immobilisme (y compris de la part des gourous des sciences de l’éducation, relayés, hélas, par la direction du syndicat).

    Laissons de côté, volontairement, la question du marché juteux que représente pour les firmes d’informatique le corps enseignant et les élèves, - car d’autres, notamment Nico Hirtt (http://users.skynet.be/aped/)ont déjà excellemment traité cet aspect dans leurs ouvrages - et examinons les ressorts psychologiques de la culpabilisation des professeurs, et des familles, s’il leur prend l’idée saugrenue de ne pas obéir à l’injonction d’achat. (Je ne mets pas du tout en cause l’intérêt technique de l’informatique, que j’utilise pour la rédaction et la diffusion du présent texte !)

    Il entre dans nos obligations professionnelles générales de mettre à jour nos connaissances (prérogatives et devoirs des fonctionnaires du cadre A), et si nous nous laissons prendre en défaut, y compris sur l’objet technique informatique, il se peut que notre autorité intellectuelle, qui est notre force de travail au sens marxiste, en soit affectée. La culpabilisation, savamment préparée et instillée, fonctionne là-dessus. Il est facile au ministère qui en est l’auteur d’en jouer, d’autant plus facilement que les stages de formation sont réduits, que la formation hors éducation nationale coûte cher, et la culpabilisation est aggravée par le mensonge concernant le temps d’apprentissage : "Comment donc, les professeurs, ces intellectuels, qui devraient donc apprendre tout vite, ne sont pas capables d’apprendre Internet en un clin d’œil ?" Et le cercle vicieux de la culpabilisation fait quelques tours de plus.

    Pour les familles, il n’est que de regarder les affiches publicitaires de matériel informatique, de fournisseurs d’accès à Internet, et de logiciels éducatifs (nos murs en sont pleins). Elles jouent sur l’angoisse des parents pour l’éducation et l’avenir de leurs enfants. Coup double : les modifications de programme et de structure scolaire détruisent les savoirs, les parents s’en aperçoivent de plus en plus, s’inquiètent, et pour compenser ces manques, les auteurs des destructions ont le front de les inciter à payer en privé ce qu’ils ont déjà payé par l’impôt : la dépense d’éducation !

    Le travail interdisciplinaire, qui supposerait chez les élèves des connaissances de base solides qu’ils n’ont pas (voir plus haut), suscite chez les collègues un sentiment ambivalent d’inquiétude, à surmonter parce qu’il culpabilise (encore !), d’attrait de l’Autre, de désir de se valoriser auprès des élèves et des autres collègues. L’attrait de l’Autre étant souvent causé par la déception et les difficultés de son propre enseignement, refoulées. Cette accumulation de culpabilité multiforme est la manifestation d’une souffrance professionnelle qui espère trouver dans cette nouvelle modalité de travail un dérivatif. Voir par exemple le dernier paragraphe de l’article de Kuntz sur le bac,

    Mais, pour sauver la face, il faut bien retourner ce sentiment en son contraire.

     

    Un masque de plus de l'échec scolaire

    Or, que dit ce paragraphe ? " Modifier les épreuves, leur donner un meilleur contenu scientifique, introduire les TPE… ". L’espoir de Kuntz et la demande d’un meilleur contenu est antinomique avec la conception même de ces TPE, pas seulement "tels qu’ils sont prévus par le ministère" (direction du Snes), car, loin de pourvoir à l’amélioration de la formation, ils sont institués pour être un masque de plus de l’échec scolaire.

    Si nous dénonçons le risque de fraude dans ces TPE et d’obtention imméritée du bac, cet argument ne fera pas rougir le ministère qui les promeut, ce sera la confirmation par nous, les professionnels du terrain, que tout marche comme il a prévu.

    Bac opium du peuple, TPE opium du peuple ?

    Ne serait-il pas plus sage, et, paradoxalement, globalement plus économique pour la nation, de reprendre les choses à la base, de ne pas créer l’échec, puis le masquer, ce qui nous oblige à poser des questions gênantes, et tabou dans la littérature syndicale : écouter vraiment les professeurs et suivre leur avis, rétablir le pouvoir du conseil de classe, avec examens de passage, donc à terme bref abroger la loi du 10 juillet 1989 ?


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    Sur les TPE (Isabelle Voltaire, octobre 2000)

     

     


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