Parmi les grandes avancées républicaines, il y a l’école. L’école laïque, gratuite et obligatoire. Son ambition – certains, déjà, à l’époque, la qualifiaient de démesurée : permettre à chacun de s’élever, casser les privilèges, faire que la naissance et le milieu social ne dictent pas le destin des enfants. Grande et belle ambition  ! Qui a encore toute son actualité.

  • Par Alain Auffray

La République a fait l’école. Et l’école a fait la République, en formant les ­citoyens, en leur permettant d’acquérir les connaissances nécessaires, en leur donnant les moyens d’une pensée libre et indépendante. De génération en génération, elle a accompli sa mission, grâce à ses maîtres, ses professeurs, ses personnels éducatifs. Tous ont mis leur enthousiasme, leurs compétences au service de la jeunesse. Je sais combien d’énergie il leur faut au quotidien car, trop souvent, on demande à l’école de résoudre tous les problèmes de la ­société. La nation doit avoir pour ces «hussards noirs» –  même si l’expression est, malheureusement, désuète  – une profonde gratitude.

Notre école n’a pas failli. Pourtant, les études internationales le montrent de manière indiscutable  : elle est devenue l’une des plus inégalitaires d’Europe. C’est-à-dire qu’elle avance à rebours de sa promesse initiale. Il fallait donc agir.

Comment, en effet, accepter qu’un enfant né de parents modestes ait moins de chances de réussite qu’un enfant issu de classes sociales plus favorisées  ? Comment accepter que notre système éducatif n’arrive pas à promouvoir tous les talents, que les collégiens soient si nombreux à ne pas maîtriser les ­compétences fondamentales, et si nombreux à ne pas maîtriser les langues étrangères  ?

Dans le monde actuel –  monde globalisé, monde d’échanges  –, c’est envoyer nos enfants, et donc notre pays, vers une impasse. Comment accepter, ­enfin, que notre société laisse de côté, tous les ans, 150 000 jeunes sortant du système scolaire sans diplôme ni qualification ? Parmi eux, 34% ont un père ouvrier, seulement 10% un père cadre supérieur.

L'ÉCOLE NE PEUT PAS TOUT

Notre école n’est plus le rempart qu’elle devrait être contre la reproduction ­sociale. Au contraire : elle l’encourage, elle fabrique de l’échec, de l’exclusion. Et donc du désespoir. C’est pourquoi le président de la République a décidé la refondation de l’école. Cette démarche globale, cohérente, initiée avec détermination par Vincent Peillon, a fait l’objet d’une consultation nationale.

Nous avons rétabli la formation initiale des enseignants –  elle avait été supprimée par la majorité précédente !

Nous avons donné la priorité au primaire en ouvrant près de 9 000 postes –  9 000 avaient été fermés entre 2007 et 2012  –, en favorisant de nouvelles pratiques pédagogiques.

Nous avons relancé la lutte contre ce fléau qu’est le décrochage scolaire, et permis une meilleure orientation des bacheliers vers l’enseignement supérieur. Tout cela s’accompagnant de la création de 60 000 postes en cinq ans. 35 200 ont déjà été créés.

L’ambition que nous avons doit être partagée par tous les partenaires de l’école, et en premier lieu les familles. L’école peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout, toute seule. C’est l’enjeu du travail que l’Education nationale va mener avec les collectivités locales pour favoriser la mixité sociale dans les établissements. Dans ce domaine, nous avons pris beaucoup de retard. Il faut parer aux contournements insidieux de la carte scolaire qui minent notre pacte républicain.

Aujourd’hui, la refondation de l’école se poursuit  : la réforme du collège en est une nouvelle étape. Elle est portée avec courage et sens du dialogue par Najat Vallaud-Belkacem, première femme ministre de l’Education nationale. Elle sait de quoi elle parle –  pour en être un exemple  – quand elle défend une école moteur de l’ascension ­sociale.

Cette réforme du collège se fera, car c’est une réforme pour l’égalité. Trop souvent, le collège est devenu un «lieu de tri» entre ceux qui «mériteraient» de poursuivre au lycée et vers l’enseignement supérieur, et ceux qui ne pourront pas. Or, l’école républicaine doit avoir comme objectif de faire ­réussir chacun, en permettant à tous nos enfants de donner une pleine ­expression de leurs capacités. A chaque étape de la scolarité, ses choix d’orientation.

Je refuse de penser qu’une vie se décide quand on a 11 ou 12 ans, et que les orientations futures se déterminent dès l’entrée au collège. Tous les enfants doivent pouvoir accéder aux filières pour lesquelles ils ­montreront le plus d’aptitudes. Dans ce ­cadre, l’enseignement professionnel ne doit pas être un choix par défaut. Il doit participer de l’excellence de notre école.

CONTRE-VÉRITÉS

Beaucoup de contre-vérités ont été ­dites sur cette réforme. Beaucoup de phantasmes, de peurs ont été ent­re­tenus. Les conservatismes, les immobilismes ont joué de surenchères et de ­démagogie. Alors, disons les choses clairement. Quand on permet à 100% des élèves d’apprendre une seconde langue vivante dès la cinquième ­– contre, aujourd’hui, 16% d’élèves en classes bilangues et 11% en classes européennes – ; quand on démocratise l’accès au latin et au grec ; quand on permet à tous les élèves, y compris les plus fragiles, les plus timides, de prendre de l’assurance et de progresser, on tire tous les collégiens vers le haut. On est donc fidèles à l’école de la Répu­blique. On renforce, par conséquent, ­notre pays.

Au cœur de cette réforme, il y a la ­confiance accordée aux équipes pédagogiques, à leur professionnalisme, leur inventivité. Après tout, ce sont ­elles qui connaissent le mieux les ­attentes et les besoins de leurs élèves. Elles doivent donc bénéficier de souplesse, de marges de manœuvre, afin de les faire progresser, de toujours mieux les intéresser, de travailler parfois autrement.

Dorénavant, chaque collège décidera de 20% de l’emploi du temps des élèves, consacré à du travail en petits groupes, à l’accompagnement personnalisé et aux enseignements pluridisciplinaires. Cette mesure était demandée. C’est une grande avancée.

Une consultation est en cours sur l’évolution des programmes. C’est une très bonne chose. Nous avons besoin de l’avis des enseignants, mais aussi de l’éclairage précieux des experts. ­L’histoire –  Pierre Nora et d’autres mettent en garde, à juste titre  – ne doit pas être l’enseignement d’une «culpabilité ­nationale», mais une source de cohésion, de fierté, et aussi de vigilance en tirant les enseignements lucides du passé. La ­cohésion, c’est aussi un ­enseignement laïc des religions, pour s’ouvrir à l’autre, pour apprendre la tolérance.

J’écoute les critiques. Elles me surprennent. Certains –  à droite comme à gauche…  – invoquent l’excellence républicaine. Mais de quoi parlons-nous ? Ceux qui entretiennent volontairement la ­confusion entre excellence et élitisme sont, en fait, les promoteurs cyniques d’une excellence «réservée».

Que l’on m’explique en quoi excellence et égalité sont inconciliables  ? Pardon, mais je vois une forme, au mieux de schizophrénie intellectuelle, au pire de mauvaise foi, à faire le constat d’une école qui va de plus en plus mal et, dans un même mouvement, se dresser contre toutes les tentatives qui visent à la ­réformer.

L'INTÉRÊT DE NOS ENFANTS

Le débat n’est pas entre «élitisme» et «égalitarisme». Il est entre ceux qui pensent que certains peuvent réussir uniquement si l’on condamne une ­partie de nos enfants à l’échec, et ceux qui pensent que tous peuvent – et méritent – de réussir. Entre une vision ­conservatrice de l’école, et une vision réellement républicaine, à la fois exigeante, méritocratique et généreuse.

Finalement, cette réforme du collège renvoie à des tendances plus profondes qui traversent notre société. Si nous ­réformons la France, si nous la mettons en mouvement, c’est pour ­lever les ­blocages qui l’entravent, qui freinent les initiatives. C’est pour lutter contre ce sentiment ambiant qui voudrait que tout était mieux avant et que rien ne devrait changer.

Le monde change, la France doit s’adapter, se mettre en ordre de ­marche, notamment en préparant sa jeunesse, en mettant toutes les chances de son côté. J’invite, plutôt que d’utiliser l’école  – ce bien commun  – à des fins partisanes, à nous retrouver sur l’essentiel : l’intérêt de nos enfants. C’est la seule chose qui doit compter.

Par Manuel Valls, Premier ministre