A la pointe du combat contre la réforme du collège, le député UMP Bruno Le Maire a grillé la politesse à tous ses aînés, Sarkozy, Juppé et Fillon. Probable candidat à la primaire qui désignera le candidat de la droite à l’élection présidentielle, il dévoile pour Libération les principes d’une politique éducative dont la droite doit faire, selon lui, sa priorité : remplacement du collège unique par un «collège diversifié» où des options professionalisantes seraient proposées dès la sixième ; fusion des instituteurs et des enseignants de collège dans un corps unique de professeurs polyvalents encadrant toute la scolarité obligatoire, du CP jusqu’à la troisième. Des mesures radicales, selon lui plus «justes» que le«nivellement» prôné par la gauche.

Des élèves qui régressent en français, en maths et en histoire ; 140 000 décrocheurs chaque année. N’est-ce pas aussi le bilan de la droite ?

Le plus grand scandale de la République, c’est l’échec de notre école qui est incapable de valoriser les talents de nos enfants, de leur donner des perspectives d’épanouissement et de réussite sociale. Cet échec national nous concerne tous.

La France est l’un des pays les plus injustes, celui où l’origine sociale a le plus d’influence sur le destin des élèves. Najat Vallaud-Belkacem explique qu’elle veut changer ça. Comment lui donner tort ?

Sa réforme lui donne tort : elle uniformise, au lieu de diversifier, elle nivelle, au lieu de tirer vers le haut. Ce n’est pas comme cela qu’on offrira les mêmes chances à chacun. Elle supprime par exemple les classes bilangues pour donner une deuxième langue à tous dès la classe de 5e. Il aurait mieux valu amener un plus grand nombre vers ces classes, qui marchent. Je crois surtout à la diversification des parcours et à la reconnaissance de la diversité des talents. On peut avoir des intelligences dans le domaine manuel comme en français ou en mathématiques. Cela doit être reconnu.

En réalité, ces classes bilangues que vous défendez servent souvent à échapper à la mixité sociale dans des classes jugées trop hétérogènes…

Je ne le conteste pas. Je dis que sur la base de ce constat, il y a deux orientations possibles. Soit on se bat pour diversifier le recrutement de ces classes en les ouvrant aux élèves de milieux plus modestes : c’est mon choix, celui de l’excellence pour chacun. Soit on impose une deuxième langue pour tous en classe de 5e : c’est le choix du gouvernement. Or soyons réalistes : est-ce que les élèves de 5e qui ont des difficultés en français pourront apprendre correctement une deuxième langue ? La réponse est non. Mieux vaudrait faire le maximum pour aider ces enfants à rattraper leur retard. Je préfère une égalité réelle à une égalité théorique. Parce que ce projet ne garantit pas la maîtrise des connaissances fondamentales, il aggravera les inégalités.

Vous voulez donc supprimer la deuxième langue vivante obligatoire au collège ?

Deux langues, ce n’est pas une priorité. Nous avons des jeunes en classe de 3e qui sont incapables d’aligner deux phrases correctes en français. Ces enfants sont condamnés à l’échec, parce que nous ne leur avons pas donné la maîtrise des savoirs fondamentaux, qui garantit la liberté dans la société.

Ce qui inspire cette réforme, c’est l’idée que la mixité sociale serait la condition d’une école plus juste et plus performante. Vous contestez cela ?

La gauche veut amener tout le monde au baccalauréat. Je conteste cette obsession. Je regrette que la droite ait suivi ce chemin. Notre objectif ne doit pas être 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, mais 100% avec un emploi. Sortons de Bourdieu ! La reproduction sociale commence par le chômage. La liberté se trouve dans la capacité à prendre sa place dans la société. Je réitère ma proposition de débat au Premier ministre.

Il faut donc, selon vous, renoncer au collège unique ?

Je propose de remplacer le collège unique par un collège diversifié. Il serait fondé sur un socle de connaissances comprenant le français, les maths, l’histoire et une langue étrangère. Ces quatre matières fondamentales devraient être maîtrisées parfaitement, grâce à un accompagnement personnalisé réservé aux collégiens en difficulté.

Comment s’organiserait, concrètement ce collège diversifié ?

Ce tronc commun représenterait une vingtaine d’heures par semaine. On y ajouterait six à huit heures dédiées aux options. Que ceux qui sont doués pour les nouvelles technologies ou la mécanique par exemple puissent en faire vraiment sérieusement, comme pour le sport ou les langues. Imposer à chacun un moule unique, c’est une souffrance pour les élèves, leurs parents et leurs professeurs.

Dans votre collège, certains collégiens seraient, de facto, orientés dès la 6e vers la voie professionnelle ?

Non ! C’est un mauvais procès. Je dis juste : garantissons l’acquisition des connaissances fondamentales et reconnaissons la diversité des parcours. De sorte qu’en fin de 3e, l’orientation n’apparaisse pas comme une sanction. Que se passe-t-il aujourd’hui ? On évalue exclusivement sur des compétences académiques. En gonflant les notes, on fait croire aux collégiens qu’ils ont le niveau pour passer en classe supérieure. Et en 3e, on finit par leur dire «désolé, la voie générale ce n’est pas pour vous». Je préfère des jeunes en filière professionnelle épanouis plutôt que ces millions de chômeurs que nous avons fabriqués depuis trente ans, droite et gauche confondues, en envoyant des générations vers des filières universitaires qui ont des taux d’employabilité très faibles.

C’est donc bien, au minimum, une préprofessionnalisation que vous préconisez !

Ce n’est pas ce que je propose ! Prenons un élève qui a choisi de découvrir la mécanique : il pourra très bien rattraper son retard en français grâce à l’accompagnement personnalisé. Rien ne lui interdit, en 5e, de prendre une autre option et de découvrir un autre parcours. Le plus important est que chaque élève trouve sa voie.

Depuis les années 80, la droite réclame l’autonomie des établissements scolaires. Mais curieusement, elle n’en fait rien quand elle est au pouvoir…

Si la droite avait réussi, nous aurions été réélus. Oui, il faut donner plus de responsabilité aux enseignants. Mais pourquoi vouloir encadrer cette autonomie dans l’usine à gaz des «enseignements pratiques interdisciplinaires» ? La droite a trop longtemps considéré que l’éducation était la chasse gardée de la gauche. Nous devons en faire notre priorité pour les dix prochaines années.

Najat Vallaud-Belkacem n’est pas la plus mal placée pour parler d’élitisme républicain. Elle en est elle-même l’incarnation…

Je ne fais aucune attaque personnelle, contrairement au Parti socialiste et aux membres du gouvernement. 250 parlementaires ont signé ma lettre ouverte au chef de l’Etat, et plus de 20 000 citoyens. Je suis comptable auprès de chacun d’eux du sérieux et de la dignité de mes propositions.

Faut-il réformer aussi le métier d’enseignant ?

Je propose de constituer un seul corps de professeurs du CP à la fin du collège, c’est-à-dire pour toute la scolarité obligatoire. Il faut des possibilités de bivalence, ce qui permettrait de répondre au besoin de passerelles entre les disciplines. Le service hebdomadaire des enseignants serait de vingt heures environ au collège. En compensation, nous devons garantir aux professeurs - dont la gestion de carrière doit être retirée aux syndicats - de meilleures conditions de travail, avec une revalorisation salariale significative, des salles de travail plus dignes. Il faut aussi rétablir leur autorité : à l’école, ce ne sont pas les élèves ou les parents qui font la loi, mais les professeurs. Nous devons enfin réfléchir à la deuxième carrière que nous pourrions offrir aux enseignants, qui, au bout de dix ou quinze ans, voudraient passer à autre chose.

Vous imaginez l’ampleur des protestations qui accueilleront de telles propositions ?

Et pourquoi donc ? Il est temps que nous assumions des changements en profondeur. La formation pédagogique doit aussi être revue. Comme agrégé, spécialiste de Marcel Proust, je suis formé à tout sauf à enseigner en collège. Parce que mon savoir est inversement proportionnel à mes compétences pédagogiques. Avec ce nouveau corps d’enseignants, je propose de trouver le bon équilibre entre savoir et maîtrise pédagogique.

Le projet de réforme des programmes ferait, selon vous, trop de peu de place au «roman national». Le cours d’histoire doit-il être un cours d’identité nationale ?

Je condamne cette tendance à aller gratter les plaies de l’histoire de France. On peut regarder en face son histoire, avec ses heures de gloires et ses heures sombres, sans céder à cette obsession maladive. Pourquoi mettre en avant la traite négrière et la colonisation et rendre facultatives les Lumières ? Une nation est son histoire, et les Lumières sont au cœur de notre Histoire. On ne peut pas défiler le 11 janvier en disant «je suis Charlie» et renoncer à dire «je suis Voltaire». Le rôle de l’histoire au collège, c’est de faire comprendre à chaque élève qu’il appartient à une nation dont il peut être fier. Oui, je reprends le mot de roman national. Il ne peut pas y avoir de nation ni de destin commun sans connaissance de ce roman. Il ne peut pas y avoir d’intégration sans partage de mémoire.

Recueilli parAlain Auffray