• Roger Monjo : le socle commun, une nouvelle approche de l’obligation scolaire (2012)

    https://soclecommun2012.wordpress.com/2012/04/24/roger-monjo-le-socle-commun-une-nouvelle-approche-de-lobligation-scolaire/

    Au-delà des questions traditionnellement évoquées (certes importantes) lorsqu’on débat du socle commun (les destinataires du socle, la distinction du socle et du programme et la question de leur évaluation, l’organisation scolaire à promouvoir, …), il est une question qui me semble plus fondamentale encore car elle constitue une sorte de question préalable. Il s’agit, tout simplement, de la question de l’obligation scolaire. Une question, en effet, centrale dans la mesure où le socle commun, cet ensemble de connaissances et de compétences que tout élève devra avoir acquis « à l’issue de la scolarité obligatoire », a d’abord vocation, à mes yeux, à redonner du sens à cette obligation.

    Cette hypothèse de devoir, aujourd’hui, redonner du sens à l’obligation scolaire peut paraître incongrue au regard du consensus qui a toujours accompagné la régulière augmentation de sa durée depuis son instauration : 13 ans au début, 14 ans dans les années 30, 16 ans depuis les années 60, certains évoquant même, à l’heure actuelle, la perspective de sa prolongation jusqu’à 18 ans. Pourtant, ce consensus me semble, aujourd’hui, objectivement fragilisé.

    La promesse d’une intégration réussie à la « communauté des citoyens », en échange d’une soumission préalable à un dispositif de formation contraignant, a été au cœur de ce consensus. C’est précisément ce « deal » républicain qui est devenu problématique. En distinguant l’obligation scolaire « légale » (l’âge inscrit dans la loi) et l’obligation scolaire « réelle » (cet âge auquel il convient de sortir de l’école aujourd’hui pour pouvoir espérer une intégration sociale, professionnelle et politique réussie, âge que mesure assez bien ce qu’il est convenu d’appeler « l’espérance de vie scolaire moyenne »), force est de constater que l’écart entre les deux n’a cessé de se creuser durant les dernières décennies. Longtemps, l’âge fixé pour l’obligation scolaire a correspondu à l’âge auquel une masse importante d’élèves sortait effectivement du système éducatif. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et un élève qui se contente de respecter strictement l’obligation scolaire est, le plus souvent, un élève en échec.

    Comment, alors, continuer à justifier l’obligation scolaire, s’il n’est plus possible d’invoquer le pacte républicain des origines ?

    La réponse s’énoncerait ainsi : en renonçant à interpréter cette obligation comme l’imposition d’une discipline en échange de la promesse, de plus en plus difficile à tenir, d’une insertion socioprofessionnelle, mais aussi politique, réussie et en revenant à sa signification première ou véritable, anthropologique plus qu’historique. C’est-à-dire en l’interprétant comme une obligation qui pèse d’abord sur l’école, les éducateurs et, plus généralement, les adultes : l’obligation d’instruire et d’éduquer les nouvelles générations. Une obligation absolue mais, en même temps, sans contrepartie véritable, une sorte d’impératif catégorique qui s’inscrit, au-delà du droit, dans le registre de l’éthique. C’est précisément, me semble-t-il, le sens du socle commun, lorsqu’on l’interprète en terme d’obligation de résultats.

    On peut faire un parallèle entre la loi de 2005 et la loi de 2007 qui instaure le « droit au logement opposable ». Or, on réalise aujourd’hui, au vu des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce droit, la charge d’utopie dont il était porteur. De telle sorte que certains (Alain Renaut, par exemple) propose de considérer ce droit davantage comme un droit moral que comme un droit strictement juridique. Un droit inconditionnel qui génère un impératif absolu pour celui qui a la charge de satisfaire ce droit, mais un droit sans véritable recours, c’est-à-dire un recours qui pourrait déboucher sur une véritable « sanction », du côté de celui qui en est titulaire.

    La même analyse vaut, me semble-t-il, pour le socle commun, entendu comme ce « droit opposable » qui permettrait de renouveler la signification de l’obligation scolaire commeobligation d’instruire et d’éduquer. Car, autant on sait sanctionner un élève (c’est-à-dire ses parents …) lorsqu’il ne respecte pas l’obligation scolaire, autant on ne saurait pas comment sanctionner un enseignant dès lors que l’obligation d’instruire dans laquelle il est n’a pas produit l’effet attendu, en l’occurrence la maîtrise par l’élève, à l’issue de cette « scolarité obligatoire », du socle commun. On est donc bien, là aussi, dans l’ordre de l’exigence éthique plus que de la contrainte juridique. Dans l’ordre de l’utopie, mais au sens où une utopie peut être mobilisatrice. De telle sorte que l’expression « droit inconditionnel » serait sans doute plus pertinente que « droit opposable ».

    Je vois une deuxième conséquence importante de cette interprétation du socle commun comme obligation de résultats, entendue dans un sens éthique plus que juridique : la rupture avec le ciblage « social » de l’obligation scolaire.

    Ce qui légitime fondamentalement le caractère obligatoire de l’école, c’est sa dimension commune. L’école ne peut être obligatoire que si elle est (et que tant qu’elle est) commune. Tant que l’école est obligatoire, toutes les opportunités doivent rester ouvertes pour tous les élèves car ce sont des êtres en devenir. Réciproquement, le seul impératif, la seule obligation véritable qui pèse sur une telle école, c’est précisément deproduire du commun. Le « commun » au sens de l’ordinaire : une telle école doit échapper à la logique de l’excellence (qui implique compétition et sélection). Mais le commun au sens, aussi, de ce qui est partagé. Cette perspective d’une mise en commun se situe au-delà de l’opposition à laquelle on réduit souvent le débat aujourd’hui, en particulier à propos du collège, l’opposition de la différenciation, voire de l’individualisation et de l’homogénéisation, voire de la standardisation. Il s’agit, en réalité, de rapprocher, de rassembler, de faire du lien, sans pour autant nier les différences. Au contraire même, puisque ce sont précisément ces différences qui font la richesse de ce qui est partagé, mis en commun. C’est pourquoi l’appellation « école commune » me semble finalement préférable à l’appellation « école unique ».

    Roger Monjo

    Maître de Conférences en sciences de l’éducation

    Université Montpellier3

    http://rogermonjo.over-blog.com/


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