Quel est l’état de la mixité sociale et scolaire au collège et au lycée ? Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), une instance indépendante chargée d’évaluer les politiques éducatives, dresse un état des lieux précis de la ségrégation entre les établissements. Et à l’intérieur même des classes.

 

Cette étude, lancée il y a plus d’un an, tombe pile poil dans l’actualité. Les attentats de janvier ont reposé avec acuité le défi du vivre ensemble, et le rôle fondamental de l’école. Plus récemment, la réforme du collège a fait ressurgir, via la polémique sur le latin et les classes bilangues, la question de l’élitisme et des classes de niveau.

Deux jeunes chercheurs, Son Thierry Ly et Arnaud Riegert, rattachés à l’école d’économie de Paris, ont passé à la moulinette Excel deux indicateurs : l’origine sociale de toute une génération d’élèves entrés en sixième (c’est-à-dire la catégorie sociale professionnelle, CSP, des parents) et leurs résultats au brevet quatre ans après, seul indicateur permettant d’avoir une idée de leur niveau scolaire.

LA SÉGRÉGATION SOCIALE ENTRE LES ÉTABLISSEMENTS EXISTE, SURTOUT DANS LES GRANDES VILLES

Dans un monde où la mixité sociale serait parfaite, chaque élève aurait dans son établissement 22% de camarades venant de familles aisées. Dans les faits, on en est loin. Les élèves de CSP + (parents cadres, profs, chefs d’entreprise, etc.) comptent en moyenne dans leur établissement près de deux fois plus d’élèves venant comme eux d’origine aisée que d’élèves de classes moyennes ou populaires.

Si on regarde un peu plus dans le détail, on trouve, sans grande surprise, «des collèges ghettos», aux deux extrémités : certains regroupant des enfants très favorisés, et d’autres, très défavorisés. Statistiquement parlant, ça donne : «5% des élèves de troisième ont plus de 60% d’élèves CSP + dans leur cohorte». Et 10% ont dans leur collège 63% d’élèves venant de milieu défavorisés (ouvriers, inactifs, etc)  alors qu’ils ne représentent en tout que 37% des élèves.

La ségrégation entre établissements varie d’un département à l’autre, et les écarts peuvent être importants. Grosso modo, dans les départements ruraux, où les collèges sont à plusieurs kilomètres l’un de l’autre, les «stratégies d’évitement» sont moins évidentes, et donc les établissements ont tendance à être plus mixtes. La ségrégation sociale est bien plus prononcée dans les grandes villes, avec des collèges recherchés et d’autres fuis par les familles. Autre enseignement, cette ségrégation double au lycée. 

DES CLASSES DE NIVEAU DANS LA MOITIÉ DES COLLÈGES, AUSSI BIEN EN VILLE QU’EN CAMPAGNE

On s’intéresse là à la mixité à l’intérieur même des établissements, entre les classes, en regardant non pas l’origine sociale des enfants mais plutôt leur niveau scolaire. Peu de données statistiques existaient sur ce point. Les précédents travaux remontaient à la fin des années 90, conduits par la sociologue Marie Duru-Bellat. Interrogée récemment par Libération, elle rappelait qu’à l’époque, environ un établissement sur deux comptait des classes de niveau. Et que ses travaux avaient donné lieu à l’époque à une circulaire du ministère rappelant aux chefs d’établissement que constituer ainsi des classes en fonction du niveau scolaire des élèves était proscrit, car allant à l’encontre de la grande idée du collège unique.

Quinze ans après, rien ne semble avoir changé : l’étude présentée ce jeudi révèle qu’un collège sur deux a des classes de niveau, des classes de «bons» élèves et/ou de «mauvais». «Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, c’est aussi vrai dans les Hauts-de-Seine qu’au fin fond de la Lozère. Cela semble universel comme pratique», commente Arnaud Riegert, l’un des auteurs de l’étude.

Autre enseignement, qui pourrait alimenter le débat sur la réforme du collège : «Les classes bilangues (deux langues dès la sixième) et le latin ne sont qu’un facteur d’explication parmi d’autres de la ségrégation entre les classes.» C’est malgré tout un facteur important : «en Ile-de-France, par exemple, 60% des collèges qui pratiquent les classes de niveau le font par le jeu des options», expose Son Thierry Ly. «Cela veut aussi dire que pour les 40% restants, la raison est autre…»

La sociologue Nathalie Mons, présidente du Cnesco, ajoute : «Ce débat sur le rôle des options est surtout médiatique. Au sein même de la communauté éducative, on sait très bien que ce n’est pas en supprimant telle ou telle option qu’on améliorera la mixité. Les chefs d’établissement, et les parents, trouveront toujours des moyens de créer des classes de niveau.» L’enjeu, martèle-t-elle, c’est d’arriver à faire prendre conscience à tous des bienfaits de la mixité. «Tous les parents, même de milieu favorisé, ont intérêt à ce que leur enfant soit dans des classes mixtes. Comment voulez-vous sinon qu’il s’adapte plus tard en entreprise, et dans la société, s’il n’a côtoyé que des élèves de milieu aisé ?»